Sortir du refuge et refaire cordée

Pour un alpiniste, sortir du refuge n’est jamais anodin. C’est un moment privilégié, pour clarifier ses intentions et ses motivations afin d’orienter toute son énergie vers le sommet. Cet instant symbolique a quelque chose d’un rituel, un temps de concentration et de mobilisation, un moment pour s’accorder avec soi-même, les autres et le monde. Puis la corde viendra relier chacun pour débuter l’ascension. 

Sortir du confinement, c’est donc sortir du refuge et refaire cordée. Et pour bien débuter cette nouvelle ascension, il faut se rappeler sur quoi l’on pose ses pas, ce qui nous inspire et nous motive. Pour créer un mouvement vers l’extérieur, il faut réapprendre à orienter son regard, lever les yeux dehors, vers un sommet désirable. 

"L'alpiniste est un homme qui conduit son corps là où, un jour, ses yeux ont regardé"

Gaston Rebuffat

Samviel - Le Grand Soir (1930)

Samviel - Le Grand Soir (1930)

Alors vers quel sommet désirable chaque individu, chaque organisation, chaque pays va-t-il se remobiliser demain ? Pour sortir du refuge, il faut être inspiré, aspiré par le sommet. C’est le point de départ de tout projet, de toute nouvelle création : l’inspiration. D’en bas, nos yeux sont attirés vers les hauteurs enneigées, fantasmant un univers brillant et merveilleux. Cette verticalité comme décrit le philosophe Pierre Henry Frangne, “nous permet de faire l’épreuve de notre vulnérabilité, de notre fragilité, de notre précarité”. Nous avons la capacité de nous inspirer de ce qui nous entoure et la montagne, en particulier, nous renvoie toute l’ampleur de cette faculté humaine :

  • Inspirer, au sens physiologique, désigne l’action par laquelle l’air entre dans le poumon. La montagne, et la nature qu’elle abrite, est un lieu idéal de respiration d’air vif et pur.

  • Inspirer, au sens religieux, c'est un mouvement de l’âme, des pensées ou des actions qui sont causées par une insufflation divine. La montagne donne un corps à cette verticalité mystique et religieuse, elle nous renvoie à notre vulnérabilité, à notre place dans le cosmos.

  • Inspirer, par extension, désigne “l’enthousiasme créateur du poète de l’artiste” (Montaigne, Les Essais). La montagne c’est aussi la vigueur de la création, la force de surmonter des épreuves et de changer la vie des hommes.

  • Inspirer, c’est conseiller quelqu'un, lui suggérer quelque chose, l'orienter. L’alpiniste doit définir le cap, emmener les autres, à l’image du premier de cordée, qui dirige et prend des décisions.

Pour les dirigeants aussi, “y aller ou ne pas y aller” est une question permanente.

Éclaircir ce qui inspire nos choix est une condition indispensable pour “sortir du refuge” et refaire cordée dans de bonnes conditions et ne pas laisser s’insinuer le doute. Pour les dirigeants, s’avoir s’arrêter un instant sur les bien fondés de leur action est la la clef du succès pour remobiliser chacun. Elle prévient le risque de se précipiter sur de nouvelles opérations, de nouveaux projets. Partager avec les équipes, élaborer avec elles le “pourquoi” s’attaquer à ce sommet, est la dernière étape à franchir, sur le seuil du refuge.

 
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