Le plaisir de l'incertitude et du chaos
L’avalanche d’informations anxiogènes qui nous inonde depuis plusieurs semaines laisse supposer que la crise et l’incertitude sont des états délétères et destructeurs pour notre humanité. Paradoxalement, je suis convaincu du contraire, probablement sous l’effet du printemps qui arrive. La crise et l’incertitude sont des états créateurs.
Si l’on revisite la théogonie grecque, on se souviendra que, selon Hésiode, « au commencement, fut Chaos, et puis la Terre au vaste sein et le Tartare sombre dans les profondeurs de la vaste terre ». Chaos préfigure la création du Monde et dans ses Métamorphoses, Ovide le décrit comme « une masse informe et confuse qui n'était encore rien que poids inerte, amas en un même tout de germes disparates des éléments des choses, sans lien entre eux ». Le Chaos se caractérise par l’idée d’un gouffre sans fond où l'on fait une chute sans fin et sans repère. Mais la Terre-Gaia apparaît ensuite, stabilise l’horizon et la vie peut éclore. La métaphore grecque fait-elle sens en ces temps de pandémie ? Accepter le déséquilibre et la chute provoqués par le chaos de la crise serait-il la première étape vers un renouveau créateur ?
Accepter le déséquilibre et la chute provoqués par le chaos de la crise serait-il la première étape vers un renouveau créateur ?
Pour François Cazals, professeur de stratégie à HEC Paris, cette crise met à mal des dogmes profondément enracinés dans notre idéologie économique : une création de valeur centrée sur le profit, une approche systématiquement concurrentielle entre acteurs et une croyance dans la prévisibilité des marchés et le pouvoir de la planification stratégique. Et j’ajouterais une logique court-termiste qui s’est installée sous la pression de la finance. Ces dogmes s’effondrent avec la crise qui laisse s’installer le temps long. Mais ces dogmes enracinés dans nos cultures peuvent redevenir les dogmes de demain si nous n’entrons en résistance et ne profitons du chaos pour redessiner un nouvel horizon. Toujours selon François Cazals, ce renouveau stratégique pourrait s’appuyer sur quelques idées simples mais puissantes :
Le chaos de la crise a permis en un temps record de réinventer nombre de modalités d’organisation du travail et, plus largement de nos vies, en orientant les énergies et le génie collectif vers des essentiels : combien de solutions improbables, de nouvelles solidarités, d’initiatives, d’alliances et d’inventions se sont catalysées en quelques semaines ? Il existera le monde d’avant et celui d’après cette accélération ralentie du temps. Et deux catégories d’Hommes vont émerger : ceux accrochés au passé et aux dogmes d’avant, ou ceux tournés vers un horizon nouveau qui prennent plaisir à l’incertitude et au chaos pour permettre un futur plus désirable que celui que la révolution industrielle et la mondialisation avaient tracés irrémédiablement.