Aiguille Verte, 100 ascensions sur les traces d’Armand Charlet
On connaissait les “100 plus belles” de Gaston Rebuffat. Voici les “100 ascensions de la plus belle des montagnes” par Alain Iglesis, ancien gendarme du PGHM de Chamonix, qui vient de gravir l’aiguille Verte pour la centième fois. Un exploit discret à l’image de cet ancien secouriste toujours animé d’une passion inoxydable, qui gravit les montagnes avec la précision d’une montre suisse.
Ma 100ème « Verte », le récit d’Alain Iglésis
"Après une observation à la jumelle depuis le sommet de l’aiguille du Midi le dimanche 17 mai 2020, je constate que les conditions du couloir en Y à l’Aiguille Verte sont favorables. Les prévisions météorologiques sont bonnes pour les prochains jours, mais le train du Montenvers est fermé. Tant pis pour le train, après deux mois de confinement je ne veux pas rater ce créneau.
Départ le mardi 19/05/2020 à 7 h 10 à pied depuis la DZ des Bois. Direction le refuge de La Charpoua, via Les Mottets et le Montenvers. A 12 heure 20, j’arrive au refuge. L’endroit est désert, pas de trace de passage. Contrairement à mon habitude, je n’envisage pas d’aller faire la trace jusqu’à la rimaye, car je pense que, la nuit prochaine, le regel sera bon. Je préfère me reposer, faire sécher mes affaires au soleil ( j’ai mouillé la chemise ! ), et me restaurer tout en profitant de ce cadre magnifique. J’en profite pour me ravitailler en eau de fonte au pied des dalles en contrebas du refuge.
Mercredi 20/05/2020 lever à 01h30. Départ du refuge à 2h20. Comme prévu, les conditions de gel sont favorables. Absence de lune. Il fait nuit noire (ça aussi c’était prévu). Vers 3 heures 45, à 3350 mètres, je franchis la rimaye . Au-dessus les ressauts sont bien fournis, et la glace tendre permet de bons ancrages. Par une grande traversée vers la gauche au-dessus d’un rognon rocheux, je prends pied dans le couloir proprement-dit vers 3500 m. La neige dure rend la progression aisée. Vers 3750 mètres, je m’engage dans la branche de gauche qui me conduit sur l’arête sommitale. Vers 6 heures, je débouche sur l’arête, à proximité de la pointe Croux. Le vent du nord qui est au rendez-vous s’est chargé de transporter de la neige et rend la progression plus pénible. Pour rejoindre le sommet, j’enfonce jusqu’aux chevilles.
A 6 heures 20, je foule le sommet pour la 100 ème fois.
Je profite de ce moment magique pour faire quelques photos. Le vent ne m’invite pas à rester plus longtemps. Je sais que je ne dois pas m’attarder au sommet si je veux profiter de la neige dure dans la descente. Vers 6 heures 35, je m’engage dans le couloir Whymper. Vers 7 heures 10, dans le haut du couloir secondaire, je croise deux alpinistes, les skis sur le dos, qui envisagent de skier le couloir Couturier. Vers 7 heures 30, je franchis la rimaye en rive droite, et je prends pied sur le glacier de Talèfre. Avant que la neige transforme, je poursuis la descente vers le refuge du Couvercle où j'arrive à 8 heures 40. Je suis accueilli par Christophe le gardien. Après avoir remis la batterie à niveau, je quitte le refuge vers 9 heures 20. Je dois rester vigilant, car la course n’est terminée qu’une fois dans la vallée. La descente par les Egralets, le glacier de Leschaux et la mer de glace se fait sous un ciel radieux. A 13 heures 10, je suis de retour à la DZ des Bois où m’attend mon vélo. Je suis content d’avoir réalisé cette course au départ de la vallée, surtout parce qu’il s’agissait de la 100ème."
L’aiguille Verte en quelques repères
Depuis longtemps ce sommet mythique, qui domine la vallée de plus de 3000 mètres, attire les regards.
Le 29 juin 1865 Edward WHYMPER et ses deux guides Suisses Christian ALMER et Franz BINER réalisent la première ascension de l’aiguille Verte. Cette première échappe aux guides Chamoniards. Désormais la voie normale porte le nom de l’alpiniste Anglais (couloir Whymper).
On ne peut évoquer “La Verte” sans penser à Armand CHARLET, qui entre 1924 et 1960 a gravi ce sommet 100 fois par quatorze itinéraires différents. A cette époque, le téléphérique des Grands-Montets n'existait pas. Pour gravir ce sommet versant glacier d’Argentière, il fallait partir à pied depuis la vallée. Le matériel était rustique. La technique du cramponnage frontal n’était pas à l’ordre du jour. Les saisons étaient courtes. La pratique de l’alpinisme l’hiver n’était pas dans les moeurs. L’évolution du matériel de ski et d’alpinisme a rendu cette ascension plus aisée.
Ce sommet est devenu mon terrain de jeu favori. Sa configuration est exceptionnelle. Quatre arêtes rocheuses débouchent sur une calotte glaciaire. Les itinéraires sont très variés. Je trouve toujours un parcours en harmonie avec la saison. L’hiver et le printemps, je privilégie les voies glaciaires. Je me réserve les courses d’arêtes pour l’été et l’automne. Toutes les ascensions sont différentes,selon la saison et l’heure à laquelle on arrive au sommet. En décembre 2013, j’ai eu l’occasion d’assister à quelques heures d’intervalle au coucher de la pleine lune et au lever du soleil. Le réchauffement climatique qui impacte notre environnement n’interdit pas le parcours des itinéraires classiques de “La Verte”. Il suffit de s’adapter en parcourant la montagne plus tôt en saison.
Les pratiquants du vol libre se dispensent d’un retour parfois fastidieux et se lancent de nouveaux défis. Pour ma part, n’étant pas un adepte de cette discipline, les approches et les retours s’effectuent de façon traditionnelle (à pied où à skis selon la saison).
By Mountain Path & Alain Iglésis