Montagnes afghanes, montagnes amères.

Par Blaise Agresti.

Cet été, la chute de Kaboul aux mains des Talibans signe l’échec de la coalition occidentale à stabiliser à sa manière un territoire sauvage et indompté depuis des millénaires. « Cimetière des Empires », l’Afghanistan est une terre de déserts et de montagnes, une terre aride et desséchée aux confins de l’Asie, qui a arrêté toutes les invasions depuis Alexandre le Grand. Cet entrelacs de vallées et de peuples impose ses limites culturelles, religieuses et sociales, comme si la géographie des montagnes venait supplanter la volonté humaine. 

Mais cet échec n’est pas celui que l’on croit. Il n’est pas qu’un échec stratégique ou politique, il est surtout une incompréhension profonde de la nature des choses, une incompréhension profonde de la culture et des identités. Au cœur de l’Afghanistan, le dénuement absolu des peuples montagnards et les relations tribales précaires établies depuis des siècles entre ethnies ne pouvaient s’accommoder d’une présence étrangère, dont le mode de fonctionnement, de rapport au temps, à la vie et à la mort, au confort, à la religion et à une multitude de sujets essentiels, étaient si éloignés du sien. Pour avoir observé sur place en 2009 le fonctionnement d’une base américaine, je peux attester de ce gigantesque fossé.

La montagne modèle les cœurs et les esprits. L’Afghanistan est un pays montagnard dans le sens le plus radical, le plus fragile, le plus misérable. Et ce peuple construit sa propre survie depuis l’origine des temps. Cette survie passe par des alliances, des combats âpres, des négociations, une violence décuplée pour défendre son territoire, parfois contenue dès lors que personne n’intervient de l’extérieur. Cette précarité des équilibres a laissé quelques courtes périodes de paix souvent balayées par des chefs de guerre brutaux.

Mais ce que nous dit l’Afghanistan du futur de notre humanité est profondément inquiétant. Car l’Afghanistan est un pays desséché et pauvre, instable dans sa dimension organique de société humaine en survie, qui propose un modèle tribal de repli sur la proximité familiale, ethnique et religieuse, incapable de bâtir des coalitions stables sur le temps long. Cela pourrait nous alerter : si le réchauffement climatique venait à dessécher des zones géographiques plus larges, les mêmes causes pourraient entraîner les mêmes effets, à savoir une société humaine en repli tribal, ethnique et religieux, en difficulté pour bâtir des alliances et organiser sa propre survie collective.

De manière symétrique, la tribalisation des sociétés occidentales bien nanties s’observe avec la même dynamique. Chacun veut protéger son mode de vie, ses espaces protégés, recréer des bulles de prospérité, parfois même dans des déserts. Cette tentation de la tribu est alimentée par l’anxiété globalisée, nourrie avec constance par notre rapport névrosé à la mort et à notre espérance d’immortalité. Nous entrons pour la première fois de l’Histoire de l’humanité dans une ère ou la possibilité de l’extinction de la race humaine n’est pas seulement rangée dans l’étagère de la mythologie ou des religions comme une apocalypse métaphorique. Elle devient une option.

Et cela doit nous amener à considérer l’impact du réchauffement climatique comme une menace climatique et géographique bien sûr, mais peut-être surtout comme un risque politique majeur.


 
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