Méditation de l’Ascension

Récit de Pauline Delaporte.

Quatre heures trente. Le réveil sonne. 

Je profite de la chaleur de mon sac de couchage, repoussant le moment où je devrais m’en extraire. Mon nez, seule partie de mon corps à l’air, en est tout frais. 

Un. Deux. Je me redresse ! 

À tâtons, je cherche la pile de vêtements disposés la veille dans le bon ordre. 

Enlever le haut, enfiler les couches une à une. Dernière couche : la doudoune, le bonnet, la lampe frontale. 

À côté, Mathilde remue dans son sac de couchage. Habillée à moitié - je viens de donner le signal - la décision est prise ; on y va ! 

Le plus dur est fait - la suite est mécanique. Sortir complètement du duvet. Mettre le pantalon -trop frais- poussiéreux des précédents jours de marche. Enfiler les chaussettes. Lacer les chaussures. Remplir le sac, ne surtout rien oublier. 

Les bâtons dans une main, le sac sur l’épaule, descendre les petits escaliers de bois. Faire de son mieux pour ne pas réveiller la famille qui dort en bas. Faire beaucoup trop de bruit. Maladresse ensommeillée. 

Dehors, le ciel sombre met en valeur les étoiles qui brillent par milliers. Nos yeux, petit à petit, s’habituent à l’obscurité. La lune, pourtant si fine, éclaire suffisamment les dalles en pierre devant la maison. 

Remplir la petite gourde, boire, reremplir la gourde. Jusqu’au col, il n’y aura pas de ruisseaux. Je ne veux pas alourdir mon sac avec une autre bouteille. Calcul savant. 

 

Prête?” Premier mot que l’on échange. Le reste passe par des hochements de tête, des rites établis au fur et à mesure des jours de marche. Se comprendre sans trop parler; la recette d’un binôme en montagne. 

 

Le sentier à biquettes que nous empruntons est abrupt, la caillasse rend chaque pas instables. J’ai l’impression que mes chaussures sont des éléphants dans un magasin de porcelaine. J’entends mes pas buter sur chaque pierre, résonner dans la jungle encore endormie. 

Poser un pied l’un après l’autre, trouver son rythme - le cœur battant un peu plus vite que d’habitude mais pas au point de se fatiguer. 

Passer des rêves de la nuit à la douce méditation de la marche à l’aube. Petit à petit. 

La lune dans notre dos éclaire nos pas. Poser un pied après l’autre et dans ce rythme doux, perdre la notion du temps. 

Puis, déjà, l’horizon s’habille d’une fine ligne orangée. Petit à petit, la lumière change, imperceptiblement mais nettement - chaque minute est différente. Symbole du temps qui passe - du temps présent - ancré - beau - perdu, la minute d’après. 

 

L’ascension se fait presque sans effort - le rythme est trouvé. Il est temps d’enlever une couche. Trouver, à nouveau, le bon équilibre. Ne pas transpirer - au risque de geler une fois là-haut - mais ne pas attraper froid en grimpant. 

Les sommets les plus hauts, culminants au-delà de 8000 - se teintent de nuances rosées. Le ciel est clair ! Pas un nuage à l’horizon. 

Poser un pied devant l’autre, le chant des oiseaux accompagne l’instant. La jungle se réveille. Le soleil, plus rapide que nous, habille les arbres d’une lumière dorée. Que j’aime cet instant ! 

Deux heures que nous grimpons. Après 3 virages qui paraissent être, chaque fois, les derniers, le col apparaît. Poser le sac. Sentir ce sourire béat, satisfait, serein se dessiner sur son visage. Être convaincu, à cet instant précis, qu’on ne souhaite être nulle part ailleurs. Ici et maintenant. 

L’honneur de contempler ces montagnes mythiques, de si près ! Incapable de réaliser la taille de ces géants - leur mesure n’est pas humaine. On ne se sent pas petit, on se sent insignifiant. Insignifiant positivement. Sans nous ces montagnes seront. L’homme n’a pas vraiment sa place ici. Gratitude infinie de pouvoir profiter de ce spectacle de la nature. Humilité. 

 

Dhorpatan, Octobre 2020. 

Après des mois confinés, à tenter de se rappeler de ces sensations de montagne. Ecrire, pour ne pas les oublier.

 
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